Des milliers de personnes manifestent dans la bande de Gaza, le long de la frontière avec Israël, contre le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem, ce lundi 14 mai. Jour qui marque également le 70e anniversaire de la création de l’État d’Israël. Des affrontements ont éclaté entre Palestiniens et soldats israéliens. Il y a au moins 55 morts et 2400 blessés, selon un bilan du ministère de la Santé gazaoui, publié lundi soir.
Dans d’un entretien accordé à Ouest-France, Élisabeth Marteu, chercheuse consultante à l’International Institute for Strategic Studies (IISS), à Bahreïn, analyse la situation. La riposte d’Israël aux manifestations des Gazaouis est « disproportionnée », estime-t-elle.
Au moins 55 morts… Vous attendiez-vous à tels événements, à Gaza, aujourd’hui ?
Oui. Tout le monde s’attendait à une situation explosive. Les manifestations devaient durer un mois, depuis le jour de la Terre jusqu’à la célébration de la « Nakba » aujourd’hui, qui devait déboucher sur de grandes manifestations. Et en plus de ça, Trump jette de l’huile sur le feu en décidant de transférer l’ambassade américaine aujourd’hui.
Mais à des tirs aussi meurtriers…
Malheureusement oui. Depuis un mois, les Israéliens répondent selon la même logique. Ils tirent dès qu’il y a un rapprochement de la barrière.
L’État hébreu apparaît très belliqueux le jour où il célèbre le 70e anniversaire de sa création. Est-ce nouveau ?
Israël a toujours géré son voisinage de la même manière, toujours. Même s’il y a eu un accord de paix avec l’Égypte (en 1979) et la Jordanie (1994). Quand il se sent menacé à ses frontières, il est à la fois très défensif et très offensif.
Mais la nouveauté se joue plutôt là, à Gaza. Face à des mobilisations populaires, Israël réagit comme s’il était face à un groupe armé. Il traite la population gazaouie, qui se mobilise dans la rue, qui, globalement, manifeste sans armes à sa frontière, comme une entité ennemie, comme elle traiterait les combattants islamistes du Hamas.
Là, la réponse est disproportionnée, alors qu’Israël essaye d’être plus mesuré quand il s’agit de contenir la situation à Jérusalem ou en Cisjordanie.
Le gouvernement Netanyahou se sent-il légitimé par l’administration Trump ?
Avec un feu vert et un soutien sans condition de Donald Trump, le pouvoir israélien se sent les mains libres pour gérer comme il l’entend la question palestinienne. De plus, la communauté internationale réagit de manière molle. Et Benyamin Netanyahou se fiche éperdument des appels au calme des Européens, comme des Nations unies.
Le partage de l’ancienne Palestine en deux États est-il encore possible ou viable ?
Si on regarde la situation aujourd’hui de manière réaliste sur le terrain, la solution de deux États dans les frontières de 1967, telle qu’elle avait été envisagée, est morte. Ces deux États, vivant côte à côte ? Impossible.
La solution d’un État démocratique pour tous, pour les Juifs et les Arabes, paraît aussi totalement infaisable et illusoire. Au vu du rapport de force, on risquerait de s’acheminer vers un État d’apartheid.
À mon avis, on va aller vers le pire, vivre d’autres événements dramatiques, avant de se diriger vers une autre solution, qui reste à inventer et à concrétiser…
Ne reste-t-il plus une seule voix raisonnable aujourd’hui, en Israël ?
Ce n’est pas la raison qui prime en ce moment. Les forces centristes ou de gauche, on ne les entend pas en Israël. Des progressistes, je pense au Meretz (laïc et socialiste) sont considérés comme des partis dignes d’une trahison nationale, ou dépeint comme cela par l’extrême droite israélienne. La population partage largement cette opinion.
Les forces plutôt pragmatiques - je ne dis pas raisonnables - sont à trouver au sein de la Défense elle-même. Ce sont les seules qui pourraient appeler Benyamin Netanyahou à une désescalade, à enrayer un engrenage qui pourrait déboucher sur une guerre d’ampleur, encore une fois dans la bande de Gaza.
Et dans la région ?
Si Israël recule c’est uniquement pour faire plaisir aux Américains, et éventuellement à la demande des deux partenaires qui assurent le cordon de sécurité autour d’Israël : l’Égypte et la Jordanie, qui pourraient se sentir eux-mêmes menacés par la situation. Mais dans les faits, les voisins arabes, y compris Arabie Saoudite et Émirats Arabes Unis, émettent souvent une critique de façade, jamais suivie de faits.
La solution ne viendra pas non plus de Gaza ?
De facto, c’est encore le Hamas qui dirige la bande de Gaza. L’autorité palestinienne (le Fatah) peut bien dire ce qu’elle veut… Mahmoud Abbas est largement délégitimé avec ses derniers propos antisémites.
Ce qu’on voit aujourd’hui à Gaza est le signe d’un désespoir immense. Il ne reste plus rien à cette population, à part se masser et manifester au pied du mur. Les Gazaouis sont complètement désabusés, épuisés, désemparés. Ils ne croient plus dans leurs représentants politiques.
Vous êtes pessimiste ?
La solution ne doit pas être militaire et tout est encore possible dans l’avenir. Mais il faudra un changement de gouvernance des deux côtés. Il faut des chefs d’États prêts à négocier une solution viable. C’est cela qui manque aujourd’hui.
Et dès demain… Une riposte aussi meurtrière peut-elle durer ?
Ça dépendra de l’ampleur du nombre des morts et de la manière dont l’opinion publique internationale va réagir. Ce que redoute Netanyahou c’est vraiment d’être qualifié d’État anti-démocratique, répressiste, militaire.